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ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES

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    ENSCMien-ne à la une : Mireille GUAY SERGENT (1969)

    Publié par Brigitte RUFFIN le 11 avr. 2024 à 12h04

    Il y a des carrières aussi rectilignes que la route entre Palavas et Carnon ; la mienne est sinueuse et pleine de bifurcations, comme une départementale de ma région d’origine (la région niçoise).

      

    En terminale, l’atome m’intéresse depuis que j’ai assisté à une conférence de Louis Leprince-Ringuet sur l’antimatière. Un an plus tard, en faculté de sciences, je penche vers la chimie après avoir potassé les orbitales atomiques et moléculaires dans un petit « Que sais-je ? », écrit par Bernard Pullmann. J’ai compris que la chimie est aussi logique que la physique, et qu’elle peut être apprise autrement que par cœur. Aussi, la chimie me paraît plus concrète, et me permettrait de travailler tant avec mes mains qu’avec ma tête. Un an plus tard, je me présente donc au concours des écoles de chimie, et j’intègre l’ENSCM en septembre 1966. Les premiers cours de mécanismes des réactions organiques renforcent mon idée que la chimie est logique, et prévisible à partir de la structure des molécules. Future ingénieure, je me vois mettant au point des procédés industriels. Toutefois, je changerai d’idée au cours de la troisième année d’école.

     

    L’envie de me consacrer à la recherche en chimie organique grandit. Elle se concrétise quand j’obtiens une bourse France-Québec pour faire un Ph.D. J’achèverai la synthèse stéréospécifique du (+)-Occidentalol et la synthèse stéréosélective du (±)-Hinésol, à l’université de Sherbrooke, tout en découvrant le territoire canadien et une société québécoise en pleine mutation. Ma thèse terminée, je veux élargir mon horizon et faire de la recherche en biochimie. Pendant 11 ans, stagiaire post-doctorale, puis assistante de recherche, je travaillerai sur l’élastine, principal constituant des ligaments et des artères. La formation et le vieillissement des réticulations de cette protéine fibreuse, insoluble et hydrophobe, soulevaient alors bien des questions. Pendant cette décennie, je n’éclaircis pas tous les mystères de l’élastine ; mais au fil des exposés, des conférences, des participations à des congrès et de mes lectures, j’approfondis mes connaissances en biochimie et dans les domaines connexes (physiologie, anatomie, pathologie, écotoxicologie). Je réalise que la biochimie n’est plus un simple catalogue de molécules et de réactions identifiées dans la matière vivante. C’est une science illustrant le lien étroit entre la structure des molécules organiques et leur sélection au cours de l’évolution chimique et biologique de la Terre. La forme, les dimensions et la réactivité de certaines molécules en ont fait des constituants indispensables de la matière vivante. Je m’initie aussi au syndicalisme en fondant une association du personnel payé avec des fonds de recherche, afin de réduire les disparités de conditions de travail avec le personnel régulier de l’Université de Sherbrooke.

      

    Autour de 1985, ayant obtenu des charges de cours de biochimie générale et de métabolisme à l’université de Sherbrooke, je découvre que j’ai un immense plaisir à enseigner. J’aime transmettre les connaissances et créer des outils pédagogiques (par exemple, un jeu de dominos pour mémoriser les propriétés des chaînes latérales d’acides aminés et leur relation avec les structures secondaire et tertiaire des protéines). Alors, commence une autre partie de ma carrière, celle de professeure de Cégep. Institutions propres au Québec, les cégeps font partie de l’enseignement supérieur et accueillent des étudiants ayant entre 17 et 20 ans. Créé en 1967, le réseau des cégeps a une large mission : compléter la formation générale, faire le pont entre les niveaux secondaire et universitaire, former du personnel technique, participer au développement régional et contribuer à réduire l’exode des jeunes vers les grands centres. Les programmes pré-universitaires s’étalent sur deux ans, les programmes techniques sur trois ans. Peu à peu je fais ma place au département de chimie du Cégep de Sherbrooke. J’y enseigne les cours de biochimie et de chimie des programmes de techniques biologiques (bio-écologie, santé animale, inhalothérapie, analyses médicales, biotechnologies). Professeure « à statut précaire » alors que sévissent les coupures de postes dans les services publics, je cherche à combler les périodes où je n’ai que des temps partiels. L’idée me vient de rédiger des manuels de chimie, sachant qu’un organisme québécois subventionne la production d’ouvrages en français pour les programmes techniques. Ma proposition de manuel de chimie générale et organique pour les programmes de santé animale et de bio-écologie est acceptée par le CCDMD (Centre Collégial de Développement de Matériel Didactique). Mon premier ouvrage sortira des presses en 1995, suivi par Chimie du milieu aqueux (2010) et Chimie structurale et organique (2019). Quand j’attaque la rédaction du troisième manuel, 25 ans d’enseignement m’ont permis de cerner les écueils présentés par l’apprentissage de la chimie. Ayant participé aux révisions de programmes, je connais les besoins et les attentes des employeurs à l’égard du personnel technique; je peux élaguer et simplifier la chimie sans la dénaturer. Au fil des ans, j’ai conçu des représentations dynamiques des réactions, bâti des exercices formateurs, trouvé des exemples parlants pour les biologistes. Je suis prête pour rédiger un manuel décloisonnant la chimie et la biologie, sans nuire à la structure ou à l’unité de ces disciplines. L’infographiste servira à merveille cet objectif dans son travail d’édition.

      

    Entre 1985 et 2013, tout en enseignant ou en rédigeant des livres, je creuse des dossiers touchant la santé et l’environnement. J’analyse la bibliographie existante et je prends position dans la rubrique « Lettres des lecteurs » de quotidiens québécois. Conséquence : des personnes, des associations ou des organismes demandent mon soutien scientifique. Je m’engagerai bénévolement contre la fluoration de l’eau potable, contre l’épandage d’herbicides et d’insecticides en milieu urbain, pour l’étiquetage des OGM, pour l’amélioration du transport actif et de la sécurité des piétons et des cyclistes sherbrookois. Mon opposition à la fluoration de l’eau me conduira aux audiences publiques de la Ville de Montréal en 1988 puis, en 2013, devant une commission parlementaire de l’assemblée nationale du Québec. Entre 1990 et 2003, je demanderai au conseil municipal de Sherbrooke d’interdire les pesticides sur les pelouses et les arbustes. Si présenter mes recherches dans un congrès m’a toujours semblé facile, intervenir dans un dossier plus politique que scientifique est éprouvant. Surtout quand je contredis la direction de la santé publique du Québec sur les bienfaits du fluorure, ou quand mes demandes nuisent à la vente de 2,4-D(acide 2,4-dichorophénoxyacétique) pour l’entretien du gazon. Toutefois, les moments de tension sont largement compensés par les relations que je noue avec des personnes de tous les horizons. Plusieurs ont des formations complémentaires de la mienne, ce qui permet de nous répartir le travail scientifique. D’autres se dévouent depuis des années pour la protection des lacs et des rivières. D’autres apportent leurs compétences dans le domaine du droit de l’environnement, des communications, des technologies informatiques. Dans ces équipes, toutes et tous travaillent sans chercher la gloire, et s’attaquent aux idées, jamais aux personnes, du camp adverse. Le travail est toujours stimulant et gratifiant. En dehors des sujets controversés, je continuerai d’œuvrer à la protection de l’environnement en siégeant, selon le temps dont je dispose, à la commission environnement du CRD (Conseil Régional de Développement) de l’Estrie, au comité agro-alimentaire de l’Union des consommateurs du Québec, ainsi qu’au comité environnement du syndicat du personnel enseignant du cégep de Sherbrooke. J’écrirai beaucoup : un rapport sur les risques des OGM pour le CRD de l’Estrie, quelques articles sur les pesticides pour le quotidien local, des capsules vertes pour le bulletin du cégep, des conseils aux clients des compagnies d’entretien de gazon pour une association de consommateurs. Je participerai à la rédaction de mémoires présentés par le CREE (Conseil Régional de l’Environnement de l’Estrie) à la consultation sur l’eau (commission Beauchamp 2002) et celle sur l’agriculture (commission Pronovost, 2008). Avant de devenir une retraitée tranquille, j’écrirai aussi sur l’avenir des Cégeps, sur l’augmentation de la charge de travail du personnel enseignant, sur le limogeage de la présidente de la commission de sûreté nucléaire du Canada, sur le match de boxe entre Justin Trudeau (alors simple député) et un sénateur.

      

    Ne pas quitter Sherbrooke pour un grand centre comme Montréal a limité l’accès à des emplois rémunérateurs tant pour mon mari que pour moi. Cependant, nous n’avons jamais regretté d’avoir choisi une ville où il fait bon vivre et élever des enfants. En faisant le bilan de ma carrière, je me dis que je n’aurais pas fait mieux ailleurs et que j’en aurais peut-être fait moins.

     

    Mireille Guay Sergent (1969)